Il y a quelques années, l’Allemagne était « l’homme malade de l’Europe », du fait de sa faible croissance. Quelques années après, elle serait devenue le modèle qu’il convient de suivre pour certains ou un danger pour l’Europe selon Christine Lagarde. Qu’en est-il de ce modèle ?
Le modèle de l’homme malade
En fait, ce sont les mêmes raisons qui ont fait de l’Allemagne l’homme malade de l’Europe jusqu’en 2006 qui en font aujourd’hui le modèle à suivre pour certains. De retour dans la blogosphère, Malakine signe un très bon papier qui torpille sa politique. En effet, l’Allemagne a construit un consensus national au milieu des années 90 pour limiter toute hausse des salaires, ce qui a permis une stabilité parfaite des coûts salariaux depuis 1999, là où ils progressaient de 25% en dix ans en France et de 40% en Italie ou en Espagne. L’Allemagne a donc énormément gagné en compétitivité sur 10 ans.
Cela a eu deux conséquences. La première est une stagnation de la consommation puisque le pouvoir d’achat n’a pas progressé. C’est la raison pour laquelle l’Allemagne a eu la plus faible croissance de l’Union avec l’Italie, ce qui en a fait « l’homme malade de l’Europe », comme l’a titré plusieurs fois The Economist à l’époque. En effet, toute la croissance Allemande est venue des exportations, et la stagnation de la consommation n’a pas permis une croissance aussi dynamique que celle des autres pays européens. Pire, cette dépendance a provoqué une crise plus grave en 2009.
Malgré tout, l’Allemagne peut apparaître aujourd’hui comme un modèle car elle a un faible déficit budgétaire, un excédent commercial croissant et son chômage n’a guère progressé pendant la crise. Cependant, si la faible hausse du chômage tient au contrat social national, elle doit également beaucoup à une démographie très déséquilibrée. Mais surtout, la clé du modèle Allemand est une absence de partage des gains de productivité, puisque ces derniers sont uniquement affectés aux entreprises et aux plus hauts salaires, alors que le salaire médian stagne au mieux depuis quinze ans.
Un contre-modèle non coopératif
Il est tout de même incroyable que certains présentent l’Allemagne comme un modèle quand on sait cela. Tout le modèle actuel de croissance de l’Allemagne est un modèle qui consiste à priver plus de 90% de la population de tout bénéfice de cette croissance. Pire, la croissance Allemande repose au final sur la croissance de la consommation de ses clients, et donc du fait que ces derniers ne mènent pas la même politique… En effet, c’est bien la hausse de la consommation ailleurs (et donc la hausse des salaires) qui permet une hausse des importations en provenance d’Allemagne.
La stratégie Allemande est celle du coucou. Elle a été provoquée et rendue possible par l’euro. Provoquée car les parités monétaires au moment du passage à la monnaie unique faisait de l’Allemagne le pays de la zone dont les coûts salariaux étaient les plus élevés, ce qui représentait une grave menace pour les exportations. Auparavant, l’Allemagne n’avait pas intérêt à une telle stratégie car elle aurait provoqué une appréciation du mark face aux autres monnaies européennes, ce qui aurait annihilé tous les effets de cette politique de désinflation compétitive.
Ce modèle présente une double limite. Tout d’abord, s’il marche au sein de la zone euro, il ne pourra pas réduire significativement l’écart de compétitivité prix avec la Chine ou l’Inde. Ensuite, ce modèle risque de pousser la zone euro entière dans une politique de désinflation compétitive qui aboutira à une demande et donc à une croissance atone tant chaque pays se trouve contraint de limiter le plus possible la hausse des salaires pour ne pas perdre en compétitivité. C’est donc un modèle, qui a toutes les chances de limiter encore plus la croissance au sein de la zone euro pour les années à venir.
C’est bien l’euro en tant que monnaie unique qui a poussé l’Allemagne à adopter cette stratégie de désinflation compétitive non coopérative. Pire, cela contraint les autres pays de la zone euro à la suivre, ce qui nous promet une croissance extrêmement faible dans les années à venir.
Laurent Pinsolle